La Collectionneuse, Luca Lo Pinto

janvier 24-mars 14, 2025 – Monaco

Avec Alvar Aalto, Lawrence Abu Hamdan, Etel Adnan, Vincenzo Agnetti, Mirella Bentivoglio, Luca Bertolo, Max Bill, Lina Bo Bardi, Anna Boghiguian, Vlasēs Kaniarēs, Marc Camille Chaimowicz, Vaginal Davis, Paolo De Poli, Mirtha Dermisache, Tarsila do Amaral, Thea Djordjadze, Aref El Rayess, Chung Eun-Mo, Barbara Hammer, Tamara Henderson, Bruno Jakob, Fernand Léger, Jochen Lempert, Leoncillo, Mathieu Mategot, Tony Matelli, Sadamasa Motonaga, Bruno Munari, I Gusti Ayu Kadek Murniasih, Milena Muzquiz, Ron Nagle, Yoichi Ohira, Erik Olovsson/Studio E.O, Christodoulos Panayiotou, Giulio Paolini, Gio Ponti, Peter Regli, Lin May Saeed, Andrea Sala, Gino Sarfatti, Martin Soto Climent, Ettore Sottsass, Magdalena Suarez Frimkess, Mario Ticcò, Alvaro Urbano, Cecilia Vicuña, Alfredo Volpi, Andro Wekua, Franz West, Tapio Wirkkala, Liuba Wolf, Ruth-Wolf Rehfeldt

Rejoignez-nous pour le vernissage de l’exposition, le vendredi 24 janvier à 17h00.

Bruno Jakob, Unseen (Portraits, Somebodies)(Invisible Drawing) 1998. Eau sur papier apprêté jaune invisible, 61 × 42 cm. Courtoisie de l'artiste et de la Collection Silvia Fiorucci, Monaco.

La Collectionneuse est une exposition née d’une invitation à penser un projet à partir de la collection de Silvia Fiorucci. Une exposition qui n’a d’autre sujet que l’idée d’une collection comme portrait d’une personne. À partir d’une sélection d’œuvres de la collection de Silvia Fiorucci, La Collectionneuse entend évoquer la figure d’un collectionneur imaginaire. À la différence des institutions publiques, les collections privées répondent aux goûts et aux intérêts d’un individu, bien que le désire au collectionneur soit d’en faire un bien commun, et qu’elles se voient ainsi restituées à la collectivité. En ce sens, les critères qui en déterminent la nature sont tout à fait variables : ils peuvent être formels, conceptuels ou d’ordre personnel.  Selon une célèbre maxime de Goethe, « les collectionneurs sont des gens heureux ».

Pour le choix des œuvres présentées, j’ai adopté une approche similaire. J’ai choisi des travaux et des éléments qui relèvent de langages, de géographies et d’imaginaires variés selon une logique intuitive et associative. L’exposition est en effet conçue comme une composition, une mise en scène visant à conférer à l’espace du Quai l’apparence d’un intérieur domestique où se côtoient librement des objets de design, des tableaux, des sculptures, des dessins et des tapis, évoquant le wunderkammer – cabinet de curiosités – d’un collectionneur. Si la manière habituelle d’exposer des oeuvres dans un musée s’inscrit dans une ambition de neutralité et d’objectivité autoproclamées, ici, en revanche, nous avons donné vie à un environnement totalisant qui se passe d’explications, et où ceux qui entrent sont invités à se laisser guider par la curiosité.

Les murs de l’ensemble de l’espace d’exposition ont été revêtus de longs pans de textile brut pour servir de toile de fond théâtrale aux œuvres, dans l’esprit de l’aménagement des salons du XIXe siècle, aux antipodes du white cube. Il s’agit d’inviter à vivre cette exposition comme une grande installation, une ungesamtkunstwerk – œuvre d’art totale –, au sein de laquelle les catégories ou les tentatives de définition s’annulent pour produire un dispositif scénographique délibérément insaisissable.

L’image choisie pour l’invitation est la reproduction d’une œuvre de l’artiste suisse Bruno Jakob qui, depuis les années 1970, poursuit une recherche questionnant notre foi dans les images et les évidences visuelles. Sa série de peintures Invisible Paintings défie la nature véritable des apparences pour souligner que les images n’ont pas besoin d’être visibles pour être réelles. Unseen (Portraits, Somebodies) (Invisible Drawing), datant de 1998, est un manifeste idéal pour l’exposition. Il s’agit d’un portrait réalisé en utilisant simplement de l’eau sur une feuille de papier afin de créer un simulacre. La possibilité d’imaginer quelqu’un à partir d’une trace aussi abstraite correspond parfaitement à la tentative du projet d’exposition de dresser le portrait d’une collectionneuse.

Musique d’ambiance, cartons d’invitation à des expositions éparpillés dans une corbeille et accessoires, apparaissent comme autant d’éléments scéniques et narratifs qui invitent chaque visiteur à imaginer à sa manière la figure de ce collectionneur imaginaire, ses goûts, ses obsessions. 

La disposition des œuvres est volontairement dense pour suggérer un lieu à mi-chemin entre la maison d’un collectionneur, un salon et un atelier. Une œuvre d’art, une fois entre les mains d’un individu, devient un objet sentimental qui n’a pas à répondre aux critères de valorisation et d’analyse culturels, comme cela serait le cas dans un musée, mais qui existe uniquement en fonction des souhaits de la personne qui le possède. On peut ainsi décider d’installer une œuvre dans des espaces inhabituels (comme la salle de bains), d’accrocher un tableau au-dessus d’un canapé selon une logique exclusivement chromatique, d’utiliser une sculpture comme un simple ustensile, de personnaliser une œuvre au moyen d’un cadre ou d’un présentoir fantaisiste. Dans ces conditions, il n’y a pas de règles, aucune cohérence à respecter, tout est subjectif.

Les collections sont volontiers ouvertes à l’interférence de coïncidences, d’influences, de rencontres, d’erreurs ou d’interprétations mentales, ce qui en fait des corpus évolutifs et imparfaits. La collection est un filtre entre l’individu et le monde qui l’entoure. Dans cette perspective, elle est une architecture de la connaissance qui n’est ni scientifique ni linéaire, mais profondément intuitive.Tout assemblage personnel d’œuvres est un microcosme pour la société mais un macrocosme pour son propriétaire. Collectionner est une activité potentiellement source d’une profonde satisfaction, mais le cadre dans lequel cette pratique s’inscrit peut varier fortement. En français, il y a une nette différence entre les termes « collectionner » et « collecter ». Dans le premier cas, le verbe suggère une intentionnalité, une conscience dans l’acte de rassembler des objets (qu’il s’agisse d’œuvres d’art ou non), tandis que le second a un sens plus concret et pratique.

Toute collection privée est une autobiographie, le fruit de contingences, de rencontres, de coups de cœur étrangers à toute forme de canon, y compris celui de l’histoire ou du musée. À l’image de cette exposition, qui est un petit monde, un kaléidoscope de styles, de langages, de recherches apparemment éloignées mais qui résonnent entre eux. Les expérimentations avec la céramique (Ron Nagle, Magdalena Suarez Frimkess), le verre (Tapio Wirkkala, Mario Ticcò, Yoichi Ohira), le langage (Vincenzo Agnetti, Mirella Bentivoglio, Mirtha Dermisache, Ruth-Wolf Rehfeldt), le design et l’architecture (Alvar Aalto, Max Bill, Gio Ponti, Ettore Sottsass, Gino Sarfatti, Lina Bo Bardi) se conjuguent avec de petits gestes d’affection (Alexander Calder, Leoncillo Leonardi, Fausto Melotti, Bruno Munari), d’admirables pièces de mobilier (un tapis de Fernand Léger, une chaise de Franz West), des œuvres de personnalités en marge (Marc Camille Chaimowicz, Vaginal Davis, Barbara Hammer), et des échos de cultures si lointaines et si proches (Anna Boghiguian, Vlassis Caniaris, Tarsila do Amaral, I Gusti Ayu Kadek Murniasih, Cecilia Vicuña, Alfredo Volpi).

La sélection d’œuvres et la scénographie qui les accueille développent un récit dans lequel la fonction et la valeur originelle des éléments individuels se transforment, faisant des objets présentés des signes enclins à acquérir et à générer des significations autres.

L’exposition, autant qu’une collection, est un dispositif narratif. Comme l’a écrit Susan Stewart, «la collection est une forme d’art comme jeu, une forme qui implique la réorganisation d’objets dans un monde d’attention et de manipulation du contexte. Comme pour les autres formes d’art, sa fonction n’est pas de restaurer le contexte d’origine, mais plutôt de créer un nouveau contexte.» [On Longing: Narratives of the Miniature, the Gigantic, the Souvenir, the Collection, Duke University Press, 1993.]

– Luca Lo Pinto –

NOTES BIOGRAPHIQUES

Luca Lo Pinto est le directeur artistique du MACRO – Musée d’art contemporain de Rome. De 2014 à 2019, il a été commissaire d’exposition à la Kunsthalle de Vienne. Il est le co-fondateur du magazine et de la maison d’édition NERO. Il a organisé une série d’expositions personnelles avec des artistes tels qu’Emilio Prini, Simone Forti, Nathalie du Pasquier, Jason Dodge, Tony Cokes, Camille Henrot, Olaf Nicolai, Friedl Kubelka, Pierre Bismuth, Babette Mangolte, Cinzia Ruggeri, Lawrence Weiner, Gelatin&Liam Gillick, Charlemagne Palestine et les expositions collectives Post Scriptum – Un musée oublié dans la mémoire, In Prima Persona Plurale, Time is Thirsty, Publishing as an Artistic Toolbox 1989-2017, More Than Just Words, Individual Stories et Function Follows Vision, Vision Follows Reality. D’autres projets curatoriaux incluent I am only the housekeeper, but I don’t know… (Plenik House Museum) ; Luca Vitone – Io, Luca (PAC) ; XVI Quadriennale d’Arte (Palazzo delle Esposizioni) ; Le Regole del gioco (Fondazione Achille Castiglioni) ; Trapped in the Closet (FRAC Champagne Ardenne) ; Antigrazioso (Palais de Tokyo) ; AnderSennoSogno (Museo H.C. Andersen) ; D’après Giorgio (Fondazione Giorgio De Chirico) ; Conversation Pieces (Museo Praz). Ses écrits ont été publiés dans de nombreux catalogues et magazines internationaux (Flash Art, Kaleidoscope, Mousse, Purple, Spike, Rolling Stone, All In, STXDYOZ). Il a également édité des publications sur divers artistes, dont Giorgio Andreotta Calò, Lisa Ponti, Mario Diacono et Mario Garcia Torres. En 2012, il a édité la publication Documenta 1955-2012.